Ne rien négliger des demandes exprimées par les agriculteurs est devenu primordial, pour renforcer la relation avec le technico-commercial.
Mais l’innovation n’est pas toujours forcément la solution aux attentes des agriculteurs, de l’avis d’Alain Baraton, de Réseau Motival et animateur de notre débat. « Il faut être bien calé sur les attentes, même si elles sont segmentées, affirme-t-il. Ces attentes de niche peuvent d’ailleurs devenir des attentes de base. Et c’est le gros dilemme dans les entreprises : se positionne-t-on sur des attentes de masse ou écoute-t-on les attentes segmentées pour y répondre et avoir alors un temps d’avance ? »
À l’affût d’idées nouvelles
D’autant qu’aujourd’hui, avec des moyens de communication démultipliés, il est bien plus facile d’apporter des réponses rapides et de concourir ainsi à satisfaire plus facilement les attentes. Pascal Chevrey, responsable secteur à Bourgogne du Sud, en fait le constat avec ses 39 ans de métier. « Les moyens que l’agriculteur a pour contacter son technicien sont énormes désormais et cela contribue à renforcer la confiance et la satisfaction de l’adhérent. »
Mais l’exercice devient plus complexe face à une multiplicité de profils d’exploitation et d’exploitants. Geneviève Nguyen, enseignante-chercheuse à l’Ensat, constate au travers de ses études sur l’évolution des exploitations « une très, très grande diversité de profils et de très grands écarts avec des montées en complexité des entreprises agricoles pour combiner performance globale et qualité de vie ». Et l’expertise monte souvent d’un cran sur des exploitations aux ateliers spécialisés. « Nous avons alors affaire à des agriculteurs plus pointus, plus exigeants et qui cherchent toujours à creuser le meilleur pour demain », observe Pascal Chevrey. Et aussi « à des exploitants qui sont à l’affût d’idées nouvelles pour restructurer leur entreprise afin qu’elle se développe et qu’elle puisse être facilement transmissible », ajoute Geneviève Nguyen, qui remarque la venue de corps de métier inhabituels dans la cour de la ferme : juristes, avocats…
Le technico-commercial se retrouve alors avec des exploitants d’une autre pointure qui le poussent à revoir les offres. Responsable région chez Agora, Laurent Gatine résume ainsi la nouvelle offre de services que sa coopérative déploie depuis la séparation conseil et vente en phytos : « C’est une offre à trois tiroirs avec un système de forfait hectare, de cotisation forfaitaire par exploitation ou encore de facturation à la carte pour le tiers plus autonome. » Et pour répondre aux plus exigeants, « nous sommes très avancés sur les semis directs, les couverts, l’agriculture de précision et nous avons des clubs d’agriculteurs animés par des spécialistes autour de sujets très pointus avec des intervenants extérieurs ou des témoignages ».
Dans ce contexte en mouvance, quelles peuvent être aujourd’hui les attentes des agriculteurs en regard de leur technico-commercial principal ? Notre enquête ADquation-Agrodistribution a ainsi mesuré le domaine sur lequel ils souhaitent être accompagnés en priorité. Et ce sont les techniques de production qui sont le plus citées (voir infographie). Ce n’est pas une surprise, étant donné la mission historique du TC et le propos d’Anne-Laure Durand sur ce besoin d’accompagnement à l’heure des changements de système de culture. Un besoin que la conjoncture difficile sur les matières premières peut faire naître également, comme le souligne Gwendal Hercouët : « Face à l’inflation sur les prix des engrais, l’agriculteur est encore davantage dans l’attente d’une solution. Nous avons ainsi changé notre schéma classique de production en proposant de fractionner l’apport azoté en quatre ou cinq fois au lieu de trois, pour avoir un minimum de pertes au lessivage. »
Il est intéressant de noter le souhait des agriculteurs d’être accompagnés sur l’optimisation de leurs marges, qui arrive en seconde place. Et si nous y joignons l’item débouchés et vente des productions, nous avons un bloc économique qui pèse 36 %, tout autant que l’aspect technique. Cela démontre l’attente prégnante dans ce domaine et une meilleure considération du rôle du TC sur ce plan, même s’il y est jugé moins compétent que sur la technique (lire p. 31). L’approche économique de l’exploitation devient imparable et des entreprises l’ont bien compris en apportant cette culture à leurs équipes terrain. Agriculteur en Charente-Maritime, Alexis Moreau le décrit très bien : « Aujourd’hui, nous avons besoin de personnes sensibilisées et formées à la gestion de nos exploitations. Avec le TC, nous pourrions avoir une belle évolution de la relation en allant plus sur l’approche économique incontournable. » La recherche de rentabilité devient en effet un leitmotiv. Sur son territoire, Laurent Gatine l’observe de la part des jeunes de moins de 40 ans, surtout quand ils sont doubles actifs. « Ils ne peuvent pas rentrer à la maison en disant : “Mon outil de travail ne me rémunère pas”. Aussi, ils recherchent un optimum économique et disent être prêts à tout arrêter s’ils sont en difficulté. Auparavant, on se serrait la ceinture mais on n’arrêtait pas. » D’ailleurs, les jeunes générations sont davantage demandeuses d’un accompagnement économique, 29 % des moins de 50 ans faisant de l’optimisation des marges leur priorité (voir infographie).
Un double message
Cette enquête porte un double message. Elle montre d’une part que les agriculteurs vont chercher en priorité auprès de leur TC les deux grands basiques que sont la technique et l’économique. Le volet environnemental de l’exploitation (biodiversité, crédits carbone…) et le volet énergétique sont loin d’être recherchés. Est-ce par manque de légitimité du TC ou est-ce « trop décalé économiquement », comme le suggère Alexis Moreau, ou source d’interrogations ? Toutefois, des coops et négoces s’investissent dans ces domaines, avec le bas carbone ou la certification environnementale, notamment la HVE, emmenant avec elles certains de leurs adhérents ou clients. Enfin, l’approche digitale de l’exploitation (e-commerce, OAD…), dont l’item avait été proposé, n’émerge pas du tout. Et pourtant, des TC sont prêts à s’y investir, tel Gwendal Hercouët, mais ses efforts pour démontrer la valeur ajoutée de certaines solutions restent encore vains.
En conclusion de ce chapitre sur les attentes des agris, partageons l’interpellation de Geneviève Nguyen sur deux points importants à ses yeux : la réduction des charges, notamment de mécanisation, et l’organisation du travail. Elle tient ainsi à rappeler l’instauration d’un volet conditionnalité sociale dans la future Pac auquel l’exploitant devra adhérer pour pouvoir toucher les aides, notamment sur le respect des conditions d’embauche des salariés afin d’éviter tout abus avec les salariés détachés. « Le salariat va devenir un problème central pour l’exploitation. Les conseillers pourraient se retrouver pris au dépourvu. »
Mais gageons que des solutions seront trouvées « collectivement » face à toute nouvelle attente ou difficulté. Alain Baraton a justement observé que les deux professions agri et TC de nos rencontres 2022 ont exprimé bien plus un besoin de grandir ensemble que lors des rencontres 2010 sur la même thématique. Nous ne pouvons que souhaiter alors, tout comme Christophe Mauchamp, que la jeune génération « continue de travailler avec les TC », bien qu’il note sur son secteur sa faible présence lors des réunions bout de champ.
Agro Distribution – Dossier AGRICULTEUR-TC : CONSTRUIRE UNE RELATION DURABLE – Août 2022